26/01/2016

Texte: No comment

Charlotte Rampling (Paris, 2001)

 NI POUR, NI CONTRE

Je vois tellement de polémiques enfler autour de moi !

C’est un signe des temps. Celui des médias sociaux, où tout le monde donne son avis sur tout. Où la moindre phrase est commentée, passée au crible d’opinions contradictoires. Il n’est question que de diffuser ce que l’on pense, ce que l’on aime ou n’aime pas, comme pour dire qu’on existe, et que l’on appartient à telle ou telle communauté d’idée, de goût. Et que l’on a raison d’être ce que l’on est. Et que les autres ont tort, que tout est de leur faute, et qu’ils sont responsables du chaos mondial.

Et bien j’affirme que chaque participation à une polémique, ou un débat, n’est, ni plus ni moins, qu’un prétexte à renforcer son propre égo. 

Alors que faut-il faire ?

Se désintéresser de la société ? S’isoler de ses semblables ? Quitter la vie moderne ?

C’est une option possible, mais peu convaincante en ce qui me concerne. Car j’avoue éprouver une réelle fascination à observer ce théâtre, qui m’offre l’opportunité, non négligeable, de me confronter à moi-même.

Par exemple, la récente polémique sur la déclaration de Charlotte Rampling concernant la menace de boycott brandie par la communauté noire américaine pour protester contre le manque de diversité des Oscars, m’a beaucoup intéressée.

Qu’a dit Charlotte Rampling au micro d’une journaliste française qui l’interrogeait à ce sujet ?

Qu’elle estimait qu’il s’agissait de « racisme anti blanc ». Et que peut-être qu’aucun acteur noir ne méritait d’accéder cette année au plus haut niveau de la course aux Oscars.

Je conviens que ses propos aient manqué de délicatesse, dans le contexte actuel de tensions identitaires et de libération de la parole raciste.

Mais que sait-on de Charlotte Rampling ? Qu’elle est une actrice d’origine britannique (fille d’un père officier de l’armée de sa Majesté), connue jadis pour sa grande beauté, son talent, et sa filmographie audacieuse (voire sulfureuse), et plus récemment pour l’intelligence et le courage avec lesquels elle assume, face au public, les outrages de l’âge.

Une personnalité hors norme, donc. Une femme cultivée, exigeante et secrète, qui semble prêter plus d’attention à son engagement artistique qu’aux jugements primaires d’autrui.

Elle a donc dit ce qu’elle pensait, exprimé sa colère, son agacement, face à une situation qu’elle n’approuvait pas. Elle l’a fait sans tricher, ni censurer son opinion à l’intention des médias.

Je suis Noir et n’aime pas entendre de tels propos, mais je suis bien placé, aussi, pour savoir à quel point ce qu’elle a nommé « racisme anti blanc » n’a rien d’une injure. Je le qualifierais plutôt de frustration, voir d’aigreur, vis à vis de la domination blanche. Sentiment largement partagé par la plupart des Noirs vivant en Occident, et que l’on peut aisément comprendre en se retournant sur l’histoire. D’autant qu’il est alimenté, partout, par les nombreuses injustices, brimades et discriminations infligées aux diverses diasporas africaines.

Mais je suis conscient, aussi, des sentiments mêlés de supériorité, de condescendance, de honte et de culpabilité qui animent les esprits d’un nombre non négligeable de Blancs. Imbus de l’orgueil d’un leadership séculaire sur le reste de l’humanité, et fier d’être identifiés au groupe qui a façonné la modernité, certains souffrent de voir, avec l’effondrement de la civilisation occidentale, se révéler la folie mégalomane et destructrice du projet capitaliste.

Qui, des présumées victimes ou des présumés bourreaux aura la sagesse de se défaire du fardeau qui les accable ? Qu’est ce qui réconciliera ces deux humanités au passé commun si chargé de violence et de haine?

Les traces de l’histoire sont inscrites dans nos chairs. Il est compréhensible qu’elles refassent surface ici et là, à travers une pensée, une phrase ou un simple mot.

Non, je n’en veux pas à Charlotte Rampling de s’être exprimée comme elle l’a fait. Elle n’a manqué de respect à personne, a simplement livré son opinion. Et quand bien même elle serait convaincue d’appartenir à quelque caste ou race supérieure, comment le lui reprocher, au cœur d’une société si fortement imprégnée d’idéaux élitistes ? En ces temps de crise, l’hypocrisie bien-pensante ne suffit plus à contenir l’expression de réalités secrètement admises de presque tous.  

« Dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas » est devenu monnaie courante. C’est le signe que quelque chose se fissure de l’idéologie occidentale, que s’ouvre une brèche dans la forteresse de ses illusions égalitaires.

Faut-il s’en réjouir ou s’en plaindre?

En guise de réponse, je propose, une fois de plus, l’introspection.

Au fond, quoiqu’extrêmement fier de mes racines haïtiennes, je ne me considère ni comme noir, ni comme blanc, mais comme un de ces êtres hybrides que produisent en grand nombre les migrations humaines.

Il y a un  Blanc en moi, qui peut comprendre Charlotte Rampling, et un Noir qui pourrait la blâmer.

Cette ambivalence est ma fierté et ma grande force. Car elle m’offre l’avantage de l’empathie non sélective, et de ne pas avoir à juger, ni prendre partie pour les uns contre d’autres.

Ca n’est pas que je sois neutre, mais que je préfère opter pour un point de vue plus dynamique.

Peut-être le problème est-il à chercher dans la compétition même des Oscars. Tant que nous serons engagés dans cette lutte darwinienne pour la suprématie (triomphe du rêve américain), éblouis par le Panthéon du succès, il y aura toujours des gagnants, des perdants, des frustrés, des brimés, des haineux, des arrogants, des vengeurs… C’est inévitable.

Le but de la vie humaine ne peut se limiter - ne le savons-nous pas ? - à devenir riche et célèbre !

Pourquoi ne pas explorer d’autres voies, d’autres valeurs ? Le mode de fonctionnement qui a vu s’imposer le mâle blanc comme maître du monde n’a t’il pas rencontré ses limites ?

Mais ne nous y trompons pas, que la domination change de camp, et ce système reproduira les mêmes effets. Une compétition n’est jamais vraiment juste, ni équilibrée, du moins pour tout le monde. Elle est intrinsèquement arbitraire.

Les hommes, les femmes noires, les femmes blanches, les arabes, les infirmes, les jeunes, les vieux, les gros, les moches, les asiatiques, les latinos, hommes et femmes…

Qui souffrira le plus de ne pas obtenir ce qu’il croit mériter ? C’est une lutte stérile et sans fin (absurdité qu’a d’ailleurs soulignée Charlotte Rampling).

Sans doute le temps est-il venu de promouvoir, sans complexe, la réconciliation et la collaboration.

Nul n’est sensé ignorer que les solutions sont désormais à chercher dans nos consciences individuelles.

Nous sommes, plus que jamais, reliés les uns aux autres. Nous opposer ne fait que précipiter notre chute en tant qu’espèce.

C’est une simple question de bon sens.

Alors travaillons à changer de point de vue sur la réalité et développons ensemble les imaginaires qui, peut-être, nous sauveront du désastre annoncé.

Cessons d’investir tant de nos énergies à débattre sur ce que la perversité médiatique nous offre en pâture, et faisons des médias sociaux des lieux de créativité, d’élévation et de poésie.

C’est la prière fraternelle que je ne peux m’empêcher d’adresser à toutes celles et ceux, quels qu’ils soient, qui ont eu la patience de parcourir ces lignes.

HR